Un article écrit par Jane Baxter

Comment écrire Evin friendly ?

 

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. Qui ne connait pas cette formule écrite en petits caractères en bas des publicités faisant la promotion des boissons alcoolisées ? Pas grand monde… Et pour cause, l’ajout de ce petit mantra est désormais obligatoire, quel que soit le support de la publicité, tant qu’elle concerne une boisson alcoolisée.

Eh oui, il est bien loin le temps d’« un Ricard, des Rencontres ». Depuis la loi Evin, les règles ont changé et nous imposent de communiquer autrement. Mais alors : comment faire de la publicité pour des produits sans avoir tout à fait le droit d’en faire la publicité ? La réponse se trouve, comme souvent, dans la nuance. Commençons par le début.

Kronembourg « J’aime ma femme, j’aime la kronenbourg. Ma femme achète la Kronenbourg par six. C’est fou ce que j’aime ma femme.»

On a tous en tête ces publicités d’un autre temps pour de l’alcool (en l’occurence, celle-ci est bien sexiste).

À l’époque, la majorité des grandes marques de bière nous projetaient dans un univers chaleureux et nous conviaient à des scènes de fêtes où l’alcool, allié indispensable, incitait à la gaieté. 

Mais ça, c’était avant. Avant qu’il soit, dans un premier temps, interdit de cibler les mineurs, d’associer l’alcool à une boisson « bienfaitrice » et d’encourager la consommation immodérée de boissons alcooliques. 

Mais c’était surtout avant la loi Evin.

Le principe est simple : tout ce qui n’est pas expressément autorisé par la loi est prohibé.

Adoptée en 1991, la loi Evin encadre la communication et la publicité pour les boissons alcoolisées et pour les cigarettes. Dorénavant, on ne peut plus dire ce que l’on veut, où l’on veut, comme on le veut : les contenus et les supports autorisés sont inscrits dans la loi. 

En ce qui concerne les messages, ils doivent se limiter aux éléments dits ”objectifs” du produit (l’origine, la description, le mode de consommation) et aux références relatives aux terroirs (appellations d’origine, distinctions obtenues…).

Les supports autorisés sont, eux aussi, encadrés par la loi, qui en dresse une liste exhaustive : presse écrite, radio à certaines heures, affiches, catalogues et brochures envoyés par les fabricants, documents commerciaux, enseignes et véhicules de livraison. 

Le principe est simple : tout ce qui n’est pas expressément autorisé par la loi est prohibé. Adieu publicités à la télévision, au cinéma et messages attirants. En prime ? La phrase désormais bien connue “l’abus d’alcool nuit à la santé” apparaît. 

Vous l’aurez compris, plus question de mettre en scène un groupe d’amis qui partagent un pack de bières fraîches à l’heure de l’apéro. Il est désormais interdit de montrer tout consommateur. Seuls les serveurs et les producteurs d’alcool clairement identifiés comme tels ont le droit d’être représentés. Plus globalement, tout message qui pourrait pousser à la consommation est interdit. 

On ne peut donc plus évoquer l’émotion ressentie en dégustant un bon verre de vin, lui associer une vision euphorique et festive, ni décrire une ambiance de convivialité. On ne peut pas non plus donner une image valorisante aux boissons alcoolisées en les assimilant à un mode de vie élitiste, lié à la réussite sociale. Afficher des sportifs sur les emballages n’est pas possible non plus, cela entraînerait l’envie de consommer lorsque l’on regarde des retransmissions sportives. Bref, on oublie tout ce qui pourrait inciter à la consommation ! 

Monkey Shoulder
Monkey shoulder Les trois singes de Monkey Shoulder qui sortent de leur cage, métaphore de l’ivresse libératrice, représentent une symbolique trop forte en matière d’alcool.
1664 Comparée à des grands monuments de Paris, la bière devient ici un symbole de l’élitisme et de la réussite sociale. Et c’est un peu plus que ce qu’autorise la loi Evin
Moet scarlett Castor & Pollux
Mouët & Chandon Scarlett Johansson avec sa bouteille de champagne en couverture de Paris Match est évidemment trop glamour pour espérer entrer dans le cadre de la loi Evin.

Face à toutes ces restrictions, difficile pour les marques d’alcool de développer un contenu créatif. 

Une fois de plus, c’est le web qui viendra à la rescousse des publicitaires. 

C’est en 2009, avec la loi Bachelot, qu’est autorisée la publicité en faveur de l’alcool sur internet. 

Mais là encore, elle est très encadrée : les sites pour la jeunesse, les sites sportifs et toute publicité intrusive sont formellement exclus. Et les mêmes restrictions concernant le contenu des messages, s’appliquent au site internet. 

Alors pour conquérir de nouveaux clients, les marques doivent faire preuve d’ingéniosité et de créativité. Toutes, ou presque, se façonnent une identité propre, cohérente et fédératrice d’une communauté de consommateurs. L’apparition puis le développement des réseaux sociaux favorisent cette nouvelle tendance : grâce aux web, les marques d’alcool se réinventent ! 

Facebook, Instagram, Twitter… Aujourd’hui, les marques ont quasiment toutes des comptes sur les réseaux sociaux. Logique, puisqu'ils représentent de vraies opportunités en terme de communication : créateurs de liens, sièges de communautés variées, sources de contenus partagés massivement. Il n’y a pas à tergiverser : les réseaux sociaux, c’est le nouvel atout des marques d’alcool !

On a vu apparaître de nouvelles règles, plus strictes, plus sévères, pour encadrer toujours plus, la publicité dans ce domaine. À chaque prise de parole d’une marque ou d’une agence, ce sont les intérêts de tous qui peuvent être impactés… 

Pour assurer la bonne application de la loi Evin, des sanctions sont évidemment prévues. Et elles peuvent faire très mal : une amende qui s’élève en pratique autour de 35.000 €, des dommages et intérêts et le retrait de la publicité en cause. C’est l’ANPAA (l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) qui se charge d’engager les procédures judiciaires, et ce, contre la marque mais aussi l’agence de publicité. 

Mais ce qu’il faudra surtout penser à retenir ici, c’est le préjudice indirect que peut causer la saisie des tribunaux. Effectivement, suite à la condamnation de certaines marques, on a vu apparaître de nouvelles règles, plus strictes, plus sévères, pour encadrer toujours plus la publicité dans ce domaine. À chaque prise de parole d’une marque ou d’une agence, ce sont les intérêts de tous qui peuvent être impactés… 

Voici en substance les grands principes posés par la loi Evin. Mais entre la théorie et la pratique, il n’y a pas qu’un pas ! L’application de cette loi comporte une importante part de subjectivité et toute action publicitaire reste une prise risque. Des pratiques à surveiller de près donc, avec un appel à la créativité mais également à la vigilance pour que les marques d’alcool puissent continuer à nous faire rêver.