Un article écrit par Noé Melon

Noir c'est noir

 

En optique, le noir serait l’absence de couleurs — l’obscurité — et le blanc l’addition de toutes les couleurs. D’un point de vue artistique et symbolique, le noir est une couleur : une couleur issue de toutes les couleurs...

Le noir est-il une couleur ?

Lorsque la photographie fait son apparition, elle bouscule le milieu de l’art. Même si elle n’est pas en couleur, elle reste la représentation la plus fidèle de la réalité et les prouesses de réalisme de leur contemporains peintres sont mises au tapis. C’est à ce moment que l’impressionnisme émerge ! Ce mouvement artistique apparaît en France dans les années 1870. Leur seul et unique thème : la couleur. En opposition à la photographie ces peintres s’attachent à retranscrire la couleur et l’impression - l’émotion qu’elle dégage. Pour eux, le noir est une non-couleur. Les couleurs sont maîtresses du tableau : on peint des fleurs, des paysages, des femmes, des scènes de vie, mais l’unique sujet de l’œuvre c’est la couleur. Par la suite, le noir en peinture redeviendra une couleur à part entière au 20ème siècle.

Photo d'une oeuvre de Rodez représenrtnant des lignes blanche sur fond noir avec un homme en fond.
Musée Soulages, Rodez

A l’opposé des impressionnistes, Pierre Soulage, peintre des années 1940 français associé à l’art abstrait et au minimalisme, est connu pour ses monochromes de noir. Il appelle lui-même le noir qu’il utilise « l’outrenoir ». Pour lui, c’est l’ultime couleur. Elle est toutes les couleurs et surtout elle est « lumière ». Lorsqu’on lui demande « Pourquoi le noir ? », il explique par sa matière, sa brillance ou son mat l’Outrenoir apparaît comme coloré grâce aux jeux de lumière. Pour lui, sans noir, pas de lumière et sans lumière il n’y a pas d’ombre. Il associe en effet le noir à sa symbolique spirituelle, très ancrée dans notre culture occidentale.

Peinture d'un rond noir sur fond blanc

Le noir spirituel

Nous avons toujours eu peur du noir. Il représente la nuit, l’obscurité, le cauchemar, l’absence, la mort, le deuil ou encore le mal. Il y a quelque chose de primitif dans cette symbolique. Lorsqu’on pense à l’obscurité, on pense à l’origine du monde qu’il soit scientifique ou biblique. Au départ, il y a « le rien » puis il y a la lumière, le big bang, la vie. C’est donc une couleur qui a une symbolique très spirituelle parce qu’elle est emblématique de la dualité bien/mal, jour/nuit, ombre/lumière, mort/vie qui la lie profondément à la symbolique du blanc qui symbolise la lumière, la pureté et le sacré.

En rouge et noir... 

En occident, nous avons tout un imaginaire collectif développé autour du noir qui est très négatif : on le relie à l’enfer, aux sorcières, aux chats noirs, aux corbeaux. C’est la couleur du mal, de la magie et du mauvais présage. C’est aussi pour cela qu’il est très apprécié chez les rebelles, les rockers ou les punks. Le noir est politique, c’est la négation, c’est l’opposition. Dès qu’on associe une couleur au noir, celle-ci devient plus brutale, plus négative. Si vous avez lu la brève sur le rouge vous savez qu’il est en partie symbole d’amour et de passion. Pourtant, associé au noir, il devient symbole de haine et de violence.

Trace de peinture noire sur fond rouge

En Europe occidentale, nous opposons le noir au blanc, mais ce n’est pas le cas partout. Le jeu d’échec est né en Perse et dans sa version primitive, les pions noirs s’opposaient à des pions rouges. Ce n’est que lorsqu’on l’échiquier arrive en Europe occidentale en l’an 1000 qu’on remplace le rouge par du blanc. En Asie également, le rouge est la couleur contraire du noir. Pour eux, le blanc est plutôt une couleur complémentaire. Dans le très célèbre symbole du yin et du yang, les deux couleurs se complètent, représentent l’équilibre. 

C’est avec l’arrivée de l’imprimerie à la fin du moyen âge que le noir et le blanc deviennent définitivement des opposés. En effet, l’encre noire est privilégiée pour créer un contraste maximal avec le papier, et devient un symbole très fort dans toute notre iconographie : celui de la dualité.

Le noir de l’élégance

Le chemin qu’a parcouru le noir pour devenir la couleur de l’élégance et du luxe est étonnant. Porté par les autorités religieuses chrétiennes et protestantes comme étant symbole de sobriété, il devient le symbole de l’humilité chrétienne. Vers 1480, la cour royale espagnole (l’une des plus grandes puissances occidentales) donne la tendance vestimentaire : une seule couleur à la cote, le noir. Les vêtements noirs sont adoptés par toute la cour. Cette dernière renonce aux couleurs mais pas à dévoiler ses richesses ! Les tenues noires sont taillées dans des tissus coûteux et ornés de nombreux bijoux. Cette mode perdra de son influence avec le déclin de la puissance espagnole, et les nobles se réapproprieront d’autres couleurs mais la symbolique du noir comme couleur du luxe et de l’élégance restera.

« Le noir est la quintessence de la simplicité et de l’élégance » disait Gianni Versace. En effet, aujourd’hui le noir est toujours symbole d’élégance. On l’associe à la couleur des voitures de luxe, des robes haute couture, au smoking. Nous avons intégré l’idée que l’élégance nécessite une certaine sobriété pour être crédible. C’est aussi la couleur qui n’implique aucun risque.

On considère un vêtement noir comme étant plus intemporel et plus facile à porter en toutes circonstances qu’un vêtement d’une autre couleur. Il est, avec le bleu, la couleur la plus utilisée dans la mode masculine. Et c’est cette mode masculine qui a profondément inspiré Coco Chanel. Dans les années 1930, elle invente la petite robe noire qui, aujourd’hui encore, est la représentation parfaite de la pièce élégante et classique que toute femme se doit d’avoir dans sa garde-robe.

On retrouve cet attrait pour le noir dans le milieu du design et de la technologie également :ordinateur, télévisions, montres, voitures.

Croquis et rendu de la petite robe noire de Coco Chanel
La petite robe noire, Coco Chanel, 1926

Le noir en design témoigne d’un rejet de l’ostentatoire, on laisse de côté la couleur pour s’intéresser au fonctionnel, à l’usage et à la forme de l’objet. La couleur s’efface pour mettre en lumière le design moderne de l’objet, et mettre en avant sa technicité.

Ce noir technique, les marques de cosmétiques l’ont adopté depuis plusieurs années pour attirer une nouvelle cible. Dans notre société actuelle, les hommes sont plus nombreux qu’avant à vivre seuls et donc à faire leur propres courses. Nivea men, l’Oréal men, Axe…De nombreuses marques jouent donc sur un marketing « élégant et technique » aux packagings noirs pour la grande majorité.

Le noir et blanc

« Lorsque les films étaient en noir et blanc très peu étaient laids ». C’est ce qu’affirme François Truffaut alors que de plus en plus de personnes découvrent la télé en couleur et que les producteurs de cinéma le poussent à tourner en couleur également. En effet, le film en noir et blanc, comme la photo noir et blanc,  est devenu une rareté, un objet d’art, une marque de distinction. Il est associé à l’authentique, à la nostalgie et à la poésie. C’est pourquoi on retrouve beaucoup de photos noir et blanc chez des marques de luxe, de bijoux et de montres. L’aversion de François Truffaut rejoint celle du metteur en scène Sergueï Eisenstein qui avait renoncé à faire des films en couleur car cela lui permettait de focaliser l’attention de ses spectateurs sur le contenu de son film et non sur sa forme. Selon lui, le noir était la plus objective des couleurs.

Le noir, c’est donc bien plus que la couleur du désespoir ! C’est la couleur de la sophistication par excellence, une couleur qui n’a besoin de rien pour plaire. C’est également, une couleur incontournable. Même si vous ne l’appréciez pas, elle est partout ! Preuve en est : vos yeux fixent actuellement les lettres noires de cet article. Si vous n’êtes pas convaincu par l’omniprésence du noir, vous pouvez découvrir nos articles sur les autres couleurs.

Plan de Marlène Dietrich regardant vers le haut dans Shangaï Express. La lumière vient créer un effet de clair obscur en plongé.
Marlène Dietrich dans Shangaï Express, Josef von Sternberg